Le Traité des mouches secrètes

Voici un petit livre original et très amusant. Il retrace la biographie du chevalier de Mouhy, écrivain prolifique mais peu estimé du 18e siècle. Il a pour prétexte un ouvrage licencieux, le Traité des mouches secrètes, dont la paternité aurait été attribuée au chevalier. Cependant, si Mouhy est bien réel et a bien noyé ses contemporains sous le flot des volumes issus de sa plume, le Traité des mouches secrètes est sorti tout droit de l’imagination de l’auteur!

Le fil conducteur de ce qu’il convient d’appeler un essai, en dépit de sa forme peu académique, est le terme de mouche, dans les différents sens que ce mot peut prendre, au propre comme au figuré. Le livre développe donc deux thèmes : le chevalier de Mouhy et ces petits bouts de tissus appelés mouches.

Mouhy peut être qualifié de mouche à plusieurs égards. Ce personnage étonnant, doté d’une imagination bouillonnante et débordante, fait figure de mouche du coche dans la littérature de son époque. Ecrivain mineur, multipliant les romans, qu’il vendait lui-même, il fut en butte aux moqueries et aux critiques, qui pouvaient être féroces et mordantes. Palissot, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de la littérature  depuis François Ier jusqu’à nos jours, publiées en 1771, disait de lui :

« C’est un des plus riches modèles qui existent du style plat et du genre niais. Depuis La Paysanne parvenue jusqu’à son dernier ouvrage, intitulé Le Danger des spectacles, il a donné au public, qui ne s’en doute pas, environ 80 volumes de romans, où la langue n’est pas mieux traitée que le sens commun. »

Mais le chevalier de Mouhy était également une mouche au sens d’espion. Outre ses romans, il écrivait des gazettes rapportant les ragots et nouvelles croustillantes de la capitale. Ces informations ont intéressé le lieutenant général de police, Marville, qui a chargé le chevalier de faire pour lui des rapports similaires, transmis ensuite aux ministres et au roi.

Dans la seconde moitié de l’ouvrage, un long chapitre est consacré aux mouches, ce qui me permet de rattacher la lecture de ce livre au challenge d’Irrégulière. On y apprend à quoi ressemblaient les mouches, en quoi elles étaient faites, comment on les collait, où on les posait et quels étaient leur nom et leur signification en fonction de leur emplacement sur le visage. Elles sont également prétexte à parler plus généralement du souci de l’apparence, tant chez les hommes que chez les femmes, du maquillage, de la coquetterie et des armes de séduction. Quant au fameux Traité des mouches secrètes, dont Patrick Wald Lasowski fait une courte analyse, il était censé avoir pour sujet les mouches disposées aux différents endroits du corps, jusqu’aux plus secrets.

Ce petit essai (un peu plus d’une centaine de pages) qui se lit très vite et très facilement est atypique non seulement sur le fond puisque, comme je l’ai dit, il mêle beaucoup d’informations authentiques à un peu de fantaisie, mais aussi et tout autant sur la forme. Il a, en effet, la verve et l’esprit des ouvrages du 18e siècle. D’un rythme très enlevé, il se dévore comme un roman avec un sourire aux lèvres. Peut-être l’auteur s’est-il laissé emporter par son sujet? C’est le premier livre de Patrick Wald Lasowski que je lis. Je ne le connais pas et peux me tromper, mais j’ai eu le sentiment, en le lisant, qu’il avait dû autant s’amuser en écrivant ce livre que je m’étais amusée en le lisant.

Pour autant, Patrick Wald Lasowski est un auteur tout ce qu’il y a de plus sérieux. Cet universitaire, qui enseigne à Paris VIII, est l’auteur de nombreux ouvrages sur les romans des 18e et 19e siècles et est un spécialiste de la littérature libertine. Voilà un moment que j’avais envie de découvrir ses ouvrages. La lecture de ce premier essai m’en donne encore plus envie. Vous entendrez donc très certainement encore parler de lui dans les prochains mois, ici ou sur la Lubriothèque, selon ce qui me paraîtra le plus approprié.

Patrick Wald Lasowski
Le Traité des mouches secrètes
Editions Gallimard
Collection Le Promeneur

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4 commentaires pour Le Traité des mouches secrètes

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  2. Minou dit :

    Ce traité a en effet l’air passionnant et très amusant ! Je le note, je serai contente de retrouver le ton narratif et enlevé de l’auteur.
    Pour Le grand dérèglement, je doute que tu y apprennes quelque chose de nouveau, à part peut-être une ou deux anecdotes amusantes (mais ça fait cher, la petite histoire…). Je te le conseillerais plutôt si tu as envie de retrouver la plume de l’auteur que pour le sujet même.

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