Système de la mode

J’avais envie de découvrir l’œuvre de Barthes, dont j’avais seulement lu Mythologies, il y a pas mal d’années. Aussi, lorsque j’ai vu Système de la mode dans la bibliographie proposée par Irrégulière dans le cadre de son challenge, j’ai tout de suite été tentée. Le problème, c’est que j’ai foncé sans prendre le temps de me renseigner plus avant et c’est ainsi que, croyant me lancer dans la lecture d’un essai de sociologie, j’ai été fort étonnée de me retrouver avec un ouvrage de linguistique, ou plutôt de sémiologie. Pour ceux qui, comme moi, ignoraient totalement l’existence de la sémiologie, je précise que c’est la science qui étudie les signes et leur signification. Ceux qui me lisent régulièrement savent que j’ai pas mal peiné sur ce livre, et je suis assez fière d’en être arrivée au bout. Je n’essaierai pas de procéder à une quelconque analyse du livre ni de porter un quelconque jugement dessus. J’en serais bien incapable. Je vais me borner à parler de la façon dont j’ai vécu ma lecture.

Quelques mots tout d’abord du contexte : Barthes s’est intéressé à la mode telle qu’elle est dite. Il a donc travaillé sur les journaux de mode de l’été 1958 à l’été 1959. Dans ces journaux, il a complètement ignoré les photos pour ne s’intéresser qu’aux textes, et il a également ignoré tout ce qui se rapporte au maquillage et à la coiffure pour ne s’intéresser qu’aux vêtements et à la façon dont ils sont décrits. A partir de ces sources il a reconstitué le système dans lequel s’inscrivent ces descriptions. Système de la mode n’a cependant pas pour but de restituer une analyse de la mode faite à partir de ce système mais de décrire le système lui-même et la démarche adoptée afin de le reconstituer.

Les quatre premiers chapitres, relativement introductifs, posent des définitions et principes de base. Je me suis sentie dès le départ complètement larguée. Même avec la meilleure volonté du monde et beaucoup de concentration, je ne comprenais pas ce qu’il exposait. Je sentais qu’il me manquait des notions fondamentales dans la discipline abordée. J’avoue que, durant ces 70 premières pages (tout de même !), j’ai plus d’une fois été tentée d’abandonner et je l’aurais sans doute fait si je ne m’étais pas lancée dans cette lecture dans le cadre d’un challenge. Mais je me suis accrochée, et je suis ravie de l’avoir fait.

A partir du moment où Barthes a commencé à aborder concrètement la façon dont le système était construit, je me suis sentie beaucoup mieux. C’est un livre qui est aride de bout en bout et qui nécessite de mobiliser pas mal de neurones, mais, au moins, ce qu’il expliquait désormais était logique, et donc je pouvais le comprendre. En dépit de cette aridité, je me suis tout de même surprise plus d’une fois, à mon grand étonnement, à sourire, parce que les propos de Barthes ne sont pas toujours dénués d’humour, et parce que son écriture m’amusait : le plus souvent très scientifique, il se laissait parfois aller à des expressions un peu triviales qui détonnaient, et, à d’autres moments, semblait se laisser emporter par son sujet et devenait presque poétique.

Par ailleurs, à partir du moment où j’ai commencé à comprendre ce que je lisais (pas tout, mais dans les grandes lignes au moins), ça m’a beaucoup intéressée, parce que Barthes explique vraiment pas à pas dans les moindres détails comment le système est construit et parce que c’était pour moi un univers totalement nouveau. J’ai par ailleurs été étonnée de voir comme il était facile de ranger tout le vocabulaire de la mode dans un système et à quel point un domaine qui me semblait inventif et imaginatif peut être réduit à un vocabulaire somme toute assez pauvre.

La dernière partie, qui s’étend sur une petite cinquantaine de pages, a pour objet la rhétorique du système et fournit quelques éléments d’analyse de l’ensemble. C’est la partie que j’ai préférée. Barthes y fournit notamment des clés pour comprendre le sens caché sous les mots de la mode, montre à quel public elle s’adresse, décortique les différents types de discours selon les catégories socioprofessionnelles visées. Il y montre également que la mode vend du rêve (rien de bien nouveau jusque-là) et que les descriptions des circonstances dans lesquelles le port d’un vêtement présenté est idéal sont d’autant plus précises qu’elles sont irréalisables et ne peuvent correspondre à ce que vivent les acheteuses potentielles. C’est quelque chose que j’avais ressenti intuitivement mais, je ne sais pas pourquoi, ça m’a fait tout drôle de le voir ainsi démontré.

Si j’ai souffert sur ce livre, qui n’est pas du tout d’un abord facile, je suis néanmoins contente de l’avoir lu car j’y ai énormément appris, en linguistique, évidemment, domaine dans lequel j’étais totalement ignorante, mais aussi en matière de messages distillés par la presse de mode, et je crois que je ne verrai plus dorénavant les magazines de mode du même œil et que je vais désormais être tentée d’essayer de décortiquer ce que je lirai.

Ce livre était ma troisième contribution au challenge Read me, I’m fashion d’Irrégulière.

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9 commentaires pour Système de la mode

  1. Estellecalim dit :

    C’est vrai que Barthes semble accessible, pour avoir écrit les mythologies qui sont faciles à lire, mais beaucoup de ses livres comportent des chapitres théoriques qui expliquent sa méthode et sont plus difficiles. C’est un peu comme Bourdieu qui semble très lisible mais est parfois un peu complexe. Mais tu as bien choisi car la sémiotique est ce qui se rapproche le plus de la socio et ce qui est le plus facile à aborder sans avoir besoin de tout l’attirail de la linguistique. Une lecture qui semble intéressante, en tout cas :)

    • Marie dit :

      Bourdieu m’attire mais il me fait peur, tu ne me rassures pas! Pour Barthes, en dépit de la difficulté, je pense que je réessaierai. C’est intéressant de connaître la méthode et pas seulement les résultats auxquels elle permet d’aboutir.

      • Estellecalim dit :

        Je suis linguiste, alors mon regard est un peu faussé, et c’est vrai que la méthode me semble indispensable ;)
        Pour Bourdieu, j’ai lu la Distinction sans aucun problème et je ne suis pas sociologue. C’est très facile à lire et vraiment clair. J’ai lu aussi les Règles de l’art qui est très clair aussi et porte sur la littérature. C’était pour ma thèse alors pour moi, c’était intéressant :)

  2. Il faudrait que je le relise.
    Pour Bourdieu, tu peux essayer « La domination masculine », qui est assez accessible (et où il me semble qu’il parle du vêtement à un moment donné, si je ne confonds pas avec un article qu’il aurait écrit sur le sujet… il faudrait que je fasse des recherches dans mes archives). De Barthes, je te conseille aussi ses divers articles sur la mode, l’anthologie « le bleu est à la mode cette année » est introuvable mais on trouve la plupart des articles sur le net. C’est très intéressant et plus simple que le système…

  3. Eh bien, malgré tes difficultés à le lire, tu réussis à me donner envie !

  4. Ping : Point sur mes challenges en cours | Et puis…

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