On n’y voit rien

Historien d’art, passionné d’Italie, Daniel Arasse est malheureusement décédé en 2003. Cet homme aux multiples casquettes a enseigné l’histoire de l’art pendant de nombreuses années, a été directeur d’études à l’EHESS, a dirigé des expositions (c’est d’ailleurs en visitant l’une de ces expositions que j’avais beaucoup aimée – mais impossible de me rappeler laquelle – que j’ai pour la première fois relevé et retenu son nom) et nous a laissé un grand nombre d’ouvrages : beaux livres d’art au sens traditionnel du terme (j’ai de lui un superbe Léonard de Vinci que m’a offert ma meilleure amie) mais également des livres que je qualifierais d’ouvrages de vulgarisation, tels que ce On n’y voit rien que j’ai choisi plus ou moins par hasard, dans le but de faire un peu connaissance avec son auteur.

 Sur la forme, c’est un petit livre (215 pages) qui m’a paru étonnant. Il est découpé en 6 parties, ayant chacune pour objet un tableau ou un thème. Rien d’extraordinaire jusque-là. Mais, ce que je trouve original, c’est que chacune de ces parties correspond à un dialogue, réel ou imaginaire : dialogue entre deux personnes, lettre qui fait suite à une conversation, monologue intérieur (qui est une sorte de dialogue avec soi-même). De ce fait, le ton est très différent du ton sérieux et, disons-le, ennuyeux que j’aurais attendu d’un ouvrage de cette sorte. Les personnages mis en scène défendent leur point de vue, cherchent à convaincre, expriment leur opinion avec chaleur, et le style employé est celui d’une conversation orale. Ce qui fait que ça se lit très rapidement et avec beaucoup de facilité.

Par ailleurs, le discours se veut décomplexant : par l’intermédiaire de ses personnages, l’auteur invite le lecteur à regarder les tableaux avec ses yeux, à la simple lumière du bon sens, et d’oublier les théories des spécialistes. C’est assez libérateur puisqu’il donne une légitimité à l’amateur ignorant : il n’est besoin d’aucun bagage théorique pour comprendre et apprécier un tableau. Et c’est vrai qu’une bonne partie des observations qu’il fait relèvent du bon sens et sont accessibles à tout un chacun. Et puis les informations qu’il donne sur les tableaux analysés sont passionnantes. Toutefois je ne suis pas sûre qu’il atteigne totalement son but : je me suis sentie pour ma part assez complexée. En effet, je peux regarder un tableau mais, n’ayant pas son bagage culturel, je serais incapable de tirer une analyse de mes observations, comme lui le fait. Et pour faire son tri parmi les diverses interprétations qu’ont pu faire d’un tableau les historiens de l’art et autres penseurs, encore faut-il les connaître.

En dépit de ce bémol, j’ai été enchantée de la lecture de ce petit livre dont je retiens essentiellement un regard neuf sur des tableaux pour la plupart célèbres et des clés pour mieux comprendre la peinture de l’époque moderne. Quant à la profondeur abyssale de mon ignorance, j’en avais déjà conscience et ne suis donc pas traumatisée par ma lecture. J’y trouve au contraire une motivation supplémentaire pour poursuivre la découverte de la bibliographie de Daniel Arasse!

Les tableaux commentés dans le livre :
Mars et Vénus surpris par Vulcain (Tintoret)
L’Annonciation(Francesco del Cossa)
L’adoration des mages (Brueghel l’Ancien)
La Vénus d’Urbin (Titien)
Les Ménines (Velazquez)

On n’y voit rien : Descriptions
Daniel Arasse
Denoël
et en poche chez
Folio Essais

Cet article, publié dans Lectures, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

5 commentaires pour On n’y voit rien

  1. Juste: ça fait déjà un moment, mais j’avais absolument adoré ce livre! premier contact avec l’histoire de l’art pour ma part, et sans doute pas le dernier! son style effectivement est extrêmement attrayant

    • Marie dit :

      Ce que j’ai entendu dire depuis, c’est qu’il fait des interprétations que certains de ses confrères historiens de l’art réfutent. Du coup je ne sais plus trop quoi penser.

      • Huuumm oui en effet, je peux même t’en parler en connaissance de cause car j’avais un prof de philosophie esthétique qui était totalement en désaccord avec lui sur pas mal de points (note que ça m’a pas empêché d’avoir 13 à l’oral en ayant jamais assisté à son cours, et en m’appuyant uniquement sur ce bouquin :))))
        sinon j’avais vu une vidéo de lui dans laquelle il fait une interprétation d’une peinture du 14e siècle je crois, représentant saint-sébastien. Un de ses confrères avait réfuté cette interprétation, mais expliquait que ce qu’il avait fait restait très important, car cela donnait à penser à d’autres niveaux (en plus il y a toujours une part d’imaginaire à l’oeuvre dans l’interprétation, cf « La relation critique » de Jean Starobinski) je me rappelle avoir bien aimé cette vidéo, notamment parce qu’il explique à un moment que les représentations de saint-sébastien avaient posés des problèmes dans les couvents, parce qu’il était trop beau et que cela perturbait la concentration des nonnes…

        • Marie dit :

          Décidément tu as eu plein de gens intéressants comme profs!
          Donc, lire Arasse plus d’autres auteurs ayant des points de vue différents du sien. Ca me va!

          • ha, j’avoue que j’en ai eu un certain nombre! après je suis un vieux étudiant aussi, alors ça peut expliquer en partie (vieux c’est très relatif, mais comme ça fait un peu plus de 10 ans maintenant, je me considère ainsi :)

Laisser un commentaire