Au bonheur des dames

Trois orphelins arrivent à Paris. Le cadet, Jean, doit y entrer en apprentissage chez un menuisier. L’aînée, Denise, 20 ans, espère pouvoir être hébergée chez leur oncle, et peut être trouver un emploi dans sa boutique de tissus. Mais les affaires de l’oncle, comme celles de tous les petits commerces du quartier, périclitent en raison de l’ouverture d’un grand magasin, Aux bonheurs des dames, dont le fondateur, Octave Mouret, est un jeune homme débordant d’ambition et d’idées audacieuses et novatrices. Denise doit absolument trouver un travail pour subvenir à ses besoins et à ceux de son plus jeune frère, Pépé. Aussi, en dépit de la désapprobation de son oncle, elle postule pour un poste de vendeuse au Bonheur des dames. Malgré la bienveillance dont Octave Mouret, qui l’a remarquée, fait preuve à l’égard de la jeune fille, le travail dans le grand magasin est rude et éreintant et les autres vendeuses du rayon dures avec Denise.

 J’avais déjà lu ce livre lorsque j’étais au lycée. Je n’ai pas trop aimé les autres romans de Zola que j’ai lus à la même époque. Ils étaient trop sombres à mon goût. Mais Au bonheur des dames, et le film qui en a été tiré qu’on nous avait montré au lycée, m’avaient beaucoup plu. J’avais donc très envie de le relire, même si j’étais un peu inquiète de ne pas l’apprécier autant la seconde fois. Et finalement, je suis ressortie de ce livre magnifique complètement séduite et encore plus emballée que la première fois bien que (ou peut-être, au contraire, parce que) je ne l’ai pas du tout perçu de la même façon.

Dans mon souvenir, ce que j’avais retenu de l’histoire et du film, c’était l’histoire d’amour et, de ce fait, j’en gardais une impression de romantisme et de légèreté. A la relecture, je l’ai trouvé bien plus sombre que dans mon souvenir, en raison du drame vécu par les petits commerçants incapables de soutenir la concurrence du grand magasin, et j’ai, cette fois, surtout été intéressée par les aspects économiques abordés dans l’ouvrage, ce qui fait que je l’ai trouvé beaucoup plus riche que je ne m’y attendais.

En effet, bien que Zola se soit laissé aller à quelques effets dramatiques (on lui a reproché d’avoir noirci le tableau dans sa description des petites boutiques, et de les avoir dépeintes telles qu’elles auraient pu être en 1820, plutôt que dans les années 1860 durant lesquelles est censée se dérouler l’action) et ait commis quelques anachronismes en s’inspirant de l’actualité des grands magasins au moment où il écrivait (c’est à dire en 1883), il s’est beaucoup documenté sur les grands magasins de l’époque et a même utilisé un projet d’architecte pour imaginer les nouveaux bâtiments tout en métal et en verre d’Au bonheur des dames.

J’ai été intéressée par les méthodes de gestion du personnel, certaines semblant très archaïques (un étage était réservé aux chambres des employés qui logeaient sur place) et d’autres très modernes, telles que les primes d’objectif assignées aux différentes catégories de personnel en fonction des tâches qui leur incombaient. En parallèle, il est intéressant de voir l’apparition de préoccupations concernant la protection sociale des salariés, qui n’en était qu’à ses tout débuts.

 J’ai été étonnée de voir que le souci d’Octave Mouret de mettre les marchandises en valeur en vitrine et de les présenter à l’intérieur du magasin de façon à susciter l’envie d’acheter semblait quelque chose de très moderne. Et inversement, j’ai été surprise de le voir s’ingénier à créer des besoins chez ses clients et mettre en oeuvre certaines techniques de marketing utilisées de nos jours dans les grandes surfaces, comme le fait de modifier complètement l’ordonnancement des rayons afin que le client ne s’y retrouve plus et doive passer par plus de rayons qu’il n’en avait l’intention, lui créant ainsi l’occasion de faire des achats qu’il n’avait pas prévus. Je ne m’attendais pas non plus à voir la publicité et la vente à distance avoir une telle importance.

 Un autre point que j’avais oublié et que j’ai trouvé intéressant, c’est que Zola utilise le groupe d’amies de la maîtresse de Mouret pour montrer le fonctionnement et les effets des techniques de vente mises en oeuvre dans le magasin. Chacune de ces femmes est l’archétype d’une catégorie d’acheteuses, et Zola invite le lecteur à les accompagner dans leur parcours dans le magasin chaque fois qu’il s’y produit un événement important. Il y a ainsi l’acheteuse compulsive, la femme désargentée qui fait les boutiques juste pour le plaisir de regarder, l’acheteuse économe et avisée mais dont le point faible est ses enfants. Zola montre comment toutes vont peu à peu se laisser envoûter. Au bonheur des dames décrit en fait avant l’heure le triomphe de la société de consommation et l’asservissement de la femme à la mode et aux temples de la vente (j’avoue qu’il y a quelques endroits où j’ai un peu tiqué).

Du fait que les rayons sont décrits avec minutie, on voit bien quels types de produits sont vendus et achetés, et l’évolution qui est en train de se produire. Les produits proposés sont, au départ, essentiellement des tissus, complétés par quelques rayons d’accessoires : bonneterie, lingerie, ganterie. Et, petit à petit, des articles de prêt à porter apparaissent et gagnent en importance.

Mais, au-delà de ces aspects techniques, je me suis simplement laissée porter par la façon éblouissante dont Zola décrit le chatoiement de couleurs, la diversité des matières, le ballet de vendeurs et d’étoffes et, plus généralement, l’atmosphère merveilleuse et l’abondance des tentations qui grisent et étourdissent le visiteur et l’incitent à revenir, comme à un spectacle toujours renouvelé.

Cette relecture constitue ma deuxième participation au challenge d’Irrégulière, Read me I’m fashion. Pour mon prochain billet pour ce challenge, je changerai complètement de style, étant bien tentée par quelques essais.

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7 commentaires pour Au bonheur des dames

  1. Irrégulière dit :

    C’est le seul Zola que j’apprécie !

  2. Alias dit :

    J’ai comme toi Marie quelques Zola dont le bonheur des dames. Ce n’est pas tant le côté sombre des livres qui me dérangeait mais plus le souci d’accumulations de détails dans les descriptions. Je crois que si je relisais des Zolas maintenant je les aprécierais certainement beaucoup plus que lors de mon adolescence. Et finalement celui que j’avais préféré était très sombre. Ma préférence allait à l’Oeuvre, mais mon attirance pour l’art n’y était certainement pas étrangère.

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  4. Pareil que toi, lu au lycée, j’avais adoré!! (même si la fin me semblait très tirée par les cheveux et peu vraisemblable) et, bien que ma mère possède toute la collection, je n’ai rien lu d’autre de Zola.

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