Du côté de chez Swann

En dépit de mon énorme PAL et de ma LAL encore plus grosse, j’ai de plus en plus envie de relire. Déjà parce que j’oublie tout très vite et que j’ai envie de me remettre en mémoire les plaisirs de lecture de ma jeunesse, et aussi parce que je me rends compte que je ne perçois pas ce que je lis comme je le faisais il y a 10 ou 20 ans. Parmi les quelques auteurs et oeuvres pour lesquels cette envie de relecture est la plus pressante, figurait en bonne place A la recherche du temps perdu, que j’ai entièrement lue il y a 15-20 ans et grâce à laquelle je suis tombée sous le charme de la plume de Proust.

Du côté de chez Swann est le premier de ces huit volumes dans lesquels le narrateur se remémore ses souvenirs. Il évoque d’abord son enfance, les séjours estivaux à Combray chez sa tante Léonie, qui lui reviennent en mémoire grâce à la fameuse madeleine, et l’hiver à Paris. Il s’autorise dans son récit une digression tellement longue qu’elle est souvent éditée à part, sous le titre Un amour de Swann. Ce Swann est, à Combray, voisin de la famille du narrateur, qui est fasciné par sa fille. Swann étant blâmé pour son mariage, Un amour de Swann raconte comment est né son amour pour sa future femme et ce qui l’a conduit à conclure ce mariage.

Je suis toujours très intimidée lorsqu’il s’agit de parler de classiques, et je le suis encore plus face à ce monument de la littérature. Je serais totalement incapable d’en faire la moindre analyse un tant soit peu pertinente, alors je vais simplement me borner à essayer d’expliquer ce que j’aime dans Proust. Après relecture de ce premier tome, j’ai relevé 4 points qui, à mes yeux, caractérisent son oeuvre et que j’apprécie.

– le style : Alors, évidemment, certaines phrases font 3 kilomètres de long et on ne se souvient plus à la fin de comment elles ont commencé. La vieille édition qui illustre cet article est celle de mon exemplaire. Le livre appartient en effet à ma mère qui, en dépit de plusieurs tentatives, n’a jamais réussi à dépasser la page 50. J’ai les tomes suivants dans une édition plus récente puisque, forcément, c’est moi qui les ai achetés. Proust est souvent un auteur qui fait peur, qui paraît ennuyeux, mais pourtant il vaut vraiment la peine qu’on lui accorde une chance et qu’on tente de le lire. C’est vrai qu’il m’est arrivé de reprendre certaines phrases parce que j’avais perdu le fil, mais quelle beauté et quelle poésie dans l’écriture! Et quelle précision aussi. Les mots ont la musicalité d’un ruisseau qui s’écoule, et sont à la fois d’une grande justesse.

– la finesse de l’observation et de l’analyse des petits détails : Même si le narrateur n’est pas Proust, j’ai l’impression à le lire que ce dernier devait être d’une sensibilité extrême et extrêmement attentif à tous ces petits détails de notre environnement dont, pour ma part, je n’ai souvent pas assez conscience : bruits, odeurs, petits détails du paysage comme les plantes le long d’un chemin. J’ai lu avec étonnement dans un article, récemment, qu’il organisait de petites mises en scènes chez lui (comme la fameuse tasse de thé dans laquelle on trempe une madeleine) pour susciter chez lui impressions et souvenirs. De ce fait, non seulement ses descriptions sont très imagées mais, ce qui m’a frappé à plusieurs reprises (et c’est là que je regrette de ne pas avoir relevé de citations au cours de ma lecture), c’est le choix des mots qu’il emploie pour retranscrire certaines sensations. Certaines associations de mots m’ont paru à la fois incongrues et d’une grande justesse.

– la finesse psychologique : Proust analyse les processus mentaux avec la même finesse et la même précision qu’il le fait pour les choses. Si son analyse de ce qui frappe nos sens m’a surtout marquée dans les parties qui racontent l’enfance du narrateur, j’ai principalement été admirative devant la finesse de ses analyses psychologiques dans Un amour de Swann. Il décortique à merveille nos modes de fonctionnement biscornus, nos contradictions intérieures, la façon dont nous nous mentons à nous-mêmes et sommes aveuglés sur notre propre compte, et nos manières d’essayer de nous convaincre nous-mêmes de l’inverse de ce que nous pensons ou désirons.

– l’humour et ironie : J’avais gardé le souvenir que La recherche du temps perdu comportait des traits d’humour et des personnages ridicules, mais j’ai été étonnée d’en trouver autant. Je pense que c’est ce qui constitue la différence majeure entre cette relecture et ma première lecture de l’oeuvre. J’ai beaucoup mieux repéré l’humour et j’y suis plus sensible, ce qui fait que je me suis beaucoup amusée en lisant. Si certains personnages sont par essence comiques, comme les grands-tantes du narrateur ou les Verdurin et leur « petit noyau », je me suis rendu compte avec surprise que le narrateur se moquait également parfois de lui-même, comme à propos de l’admiration qu’il éprouve pour l’écrivain Bergotte.

Ayant pris encore plus de plaisir à cette relecture qu’à la lecture initiale, je compte continuer ma redécouverte en compagnie d’Aaliz qui a partagé cette lecture avec moi, et qui en parle très joliment. Nous allons poursuivre avec A l’ombre des jeunes filles en fleur en décembre. N’hésitez pas à nous accompagner.

Cet article, publié dans Lectures, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

13 commentaires pour Du côté de chez Swann

  1. jerome dit :

    J’ai lu le dernier tome de La recherche à la fac et ça n’a malheureusement pas été le coup de coeur. Je me dis souvent que c’est la faute de la prof qui n’étais pas à la hauteur de ce monument. Du coup, jamais eu envie de poursuivre ma découverte de Proust. Pourtant quand Philippe Delerm en parle (c’est un fan absolu !), il arrive à titiller ma curiosité mais pas suffisamment pour que je franchisse le pas.

    • Marie dit :

      Les profs peuvent faire parfois beaucoup de mal. Il m’a fallu 20 ans et tout l’enthousiasme d’une correspondante autrichienne pour me résoudre à redonner une deuxième chance à Stefan Zweig. Mais, pour être honnête, il y a aussi des auteurs sur lesquels je me suis bloquée toute seule.

  2. J’avoue n’avoir jamais eu le courage de lire cet auteur!!!!!

    • Marie dit :

      J’ai l’impression que c’est bien souvent le cas. Je trouve qu’Aaliz a eu une très bonne idée : elle a commencé à lire Un amour de Swann, qui peut se lire de façon indépendante. C’est un récit qui est drôle et il est aisé de se retrouver un peu dans les états d’âme de cet homme amoureux et jaloux. Elle a ensuite repris le reste de ce premier tome du début. Ca me semble une bonne façon de démarrer en douceur.

  3. Aaliz dit :

    Tout comme toi, j’ai totalement écarté l’idée de tenter un semblant d’analyse, j’en aurais été incapable. Et je pense que pour ça il me faudrait avoir lu La Recherche en entier et bien connaître la vie de Proust ( et j’avoue ne pas m’être penchée encore sur sa biographie …). Du coup, je me suis contentée d’exprimer mon ressenti. En tout cas, je te remercie infiniment d’avoir lancé cette LC et de m’avoir ainsi encouragée à le lire. C’est une magnifique découverte pour moi et je suis contente de me dire que ce n’est pas fini et qu’il y a encore plein de tomes qui nous attendent !

    • Marie dit :

      J’ai beaucoup aimé la façon dont tu parles du livre et je suis ravie que cette lecture t’ait plu et ait su te toucher. Je regrette que Proust soit un auteur qui, trop souvent, fait peur, alors qu’il mérite que l’on se fasse sa propre opinion à son sujet.

  4. nathalie dit :

    Mais tu en parles très bien ! Tout à fait d’accord avec toi pour le rendu des détails et l’analyse psychologique. Au point où l’on peut quelquefois réfléchir à soi-même en lisant ce roman.
    Il y a aussi les cours de Compagnon au Collège de France (téléchargeables) qui m’avaient donné envie de le relire, en son temps. En plus, l’humour de certaines phrases rend très bien à l’oral. Bonne continuation !

    • Marie dit :

      Oui, il m’est en effet arrivé de réfléchir sur moi-même en lisant certains passages.
      Je ne savais pas qu’il y avait eu un cours sur lui au Collège de France, je vais aller voir. Merci de l’info!

  5. grillon dit :

    Cela fait rudement plaisir de lire que Proust séduit encore ! Personnellement, je suis tellement folle de lui et ravagée que j’ose analyser à tort et à travers et avec passion la Recherche . Tu en parles bien, continue !
    Je te recommande cette conférence d’Antoine Compagnon à la BnF, on peut l’écouter là :
    http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_conferences_2012/a.c_120329_compagnon.html
    Il faut laisser le temps à l’ordinateur pour charger .
    J’écoute aussi les CD lus très souvent, pour mon plus grand plaisir.
    Tu vas te régaler avec les Jeunes Filles, c’est merveilleux, sublime !

    • Marie dit :

      Si deux fans de Proust comme Nathalie et toi recommandez les conférences de ce monsieur, c’est qu’elles doivent vraiment en valoir la peine. Je vais m’empresser d’aller voir ça. Je ne pense jamais à télécharger des trucs à écouter, c’est bête.

  6. Ptilopsis dit :

    La mauvaise nouvelle du jour, c’est qu’il faut se dépêcher de lire Proust avant que Jérémie Bennequin ne l’ait complètement effacé… http://jbennequin.canalblog.com/archives/2012/07/29/24795725.html
    Bon, il garde les poussières gommées. Mais pour refaire tout le texte à partir de ce matériau, il faudra s’y mettre à plusieurs.
    http://jbennequin.canalblog.com/albums/voyages/photos/58981772-v1.html

  7. Ping : Les dix livres qui m’ont le plus marquée « La lubriothèque

Laisser un commentaire