Fallait que ça sorte…

Le hasard a fait que je viens de lire quasiment coup sur coup deux romans policiers historiques qui se ressemblent beaucoup. Les larmes de Machiavel ont pour cadre l’Italie, comme Le testament du Titien, et les deux histoires se déroulent à moins d’un siècle d’intervalle (Florence en 1498 pour le premier, Venise en 1576 pour le deuxième). Les deux romans mettent en scène des meurtres particulièrement gore, ont une histoire à première vue bien ficelée mais qui tient moins bien la route au fur et à mesure qu’on progresse dans le roman et sont l’oeuvre d’auteurs qui connaissent bien le contexte historique et culturel qu’ils mettent en scène. Malheureusement, si Le testament du Titien, sans me laisser un souvenir impérissable, ne m’a pas déplu, la conclusion des Larmes de Machiavel m’a mise en rage. Au début je comptais ne pas parler du livre, car je ne peux pas expliquer la raison de mon énervement sans dévoiler la fin, mais ça me démangeait trop, donc me voila partie!

 Ce que je peux déjà dire sans déflorer ce que préféreraient ignorer des personnes susceptibles de s’aventurer dans la lecture du roman, c’est que le style est enlevé et l’histoire rondement menée. Si je n’avais lu que les deux cent premières pages, et sans être trop regardante sur la véracité historique, j’aurais dit que l’intrigue était habile, et que l’auteur a su insérer une histoire accrocheuse en marge de grands événements historiques.

Là où ça commence à pécher, c’est, d’une part, que le retournement final me paraît fort peu crédible. D’autre part, l’auteur étant un spécialiste de la Renaissance italienne, je me serais attendue à ce que la partie historique soit rigoureuse et bien documentée. Malheureusement, il n’en est rien… Le contexte historique n’est rien de plus qu’un décor.

Avec tout ça je n’ai encore rien dit du sujet du roman… Des soldats découvrent dans le fleuve le cadavre d’un homme qui a été affreusement torturé. Le gonfalonier Soderini, qui gouverne Florence, et ses hommes, ne savent comment retrouver l’assassin. Le jeune Machiavel, qui a eu vent du meurtre par ses fonctions de secrétaire de la chancellerie, mène l’enquête avec quelques amis et l’assistance de son maître, le philosophe Marsile Ficin. Alors que Florence est menacée par la France et ébranlée par les partisans du moine Savonarole, la difficulté de Soderini à identifier l’assassin met en péril la stabilité de son gouvernement.

Sauf qu’en 1498, Machiavel avait 30 ans et non 20, que je ne suis pas sûre qu’il ait eu de liens particuliers avec Marsile Ficin, hormis le fait d’avoir vécu dans la même ville à la même époque, que les français ont envahi l’Italie en 1494, que, de 1494 à 1498, Florence a eu pour régime une théocratie dirigée par Savonarole, que Soderini est devenu gonfalonier seulement en 1502, etc etc… Bref, quelqu’un qui chercherait à apprendre quelque chose et pas seulement à passer un moment de détente en lisant ce livre en serait pour ses frais. Mais tout ça ce n’est pas ce qui m’a le plus fait bondir.

A partir de maintenant je vais spoiler, je conseille donc aux personnes qui seraient arrivées jusqu’ici et qui souhaitent lire Les larmes de Machiavel de ne pas poursuivre plus outre la lecture de ce billet.

 

Machiavel

On suit donc dans tout le livre Machiavel qui enquête avec ses amis pour retrouver l’assassin et déjouer un complot visant à ébranler le régime de Soderini et soudain… coup de théâtre dans les dernières pages : Machiavel n’était qu’un affreux traître qui a manipulé tout le monde afin d’assouvir sa vengeance personnelle et qui reste seul maître du terrain après s’être débarrassé des assassins dont il s’était fait le complice.

J’en ai marre de cette réputation d’affreux méchant accolée à la mémoire de Machiavel!!! Y avait-il vraiment besoin d’un tel retournement de situation, que je trouve de surcroît absolument pas crédible, pour faire un roman intéressant? On pourra sans doute me rétorquer la phrase célèbre de Dumas qui disait en gros qu’il est permis de violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants. Je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Je trouve ça profondément injuste que des personnages qui ont marqué l’histoire restent dans les mémoires sous des traits caricaturaux totalement erronés.

Je pense à Louis XI dont la légende et les romans ont fait un roi fourbe, avare et bigot qui enfermait ses ennemis dans des cages en fer. C’est un peu dommage qu’on ait oublié qu’il a considérablement agrandi la France par la négociation, sans verser de sang, et qu’il a ainsi débarrassé le pays des querelles sanglantes déclenchées par les grands seigneurs.

Je pense à Catherine de Médicis, à qui on a justement fait grief d’avoir Le prince pour livre de chevet, qui traîne encore aujourd’hui une ridicule réputation d’empoisonneuse (j’ai entendu un guide la présenter comme telle dans je ne sais plus quel château de la Loire il y a seulement quelques années), qu’on a accusé de toutes les noirceurs, notamment du fait de la Saint-Barthélémy, et qui incarne la méchante idéale dans tous les romans historiques de La reine Margot à Fortune de France en passant par les Pardaillan. Pourtant il semble aujourd’hui établi que les initiateurs de la Saint-Barthélémy n’avaient pour objectif que de tuer un petit nombre de chefs protestants et qu’ils ont été complètement débordés et ne s’attendaient aucunement à l’ampleur qu’a pris le massacre. Par ailleurs, la responsabilité de l’origine du massacre n’est pas si aisée à établir et il n’est pas certain qu’elle ne doive pas être imputée aux Guise. Je me souviens que, lorsque j’ai visité les Archives Nationales (abritées dans l’ancien hôtel de Guise) en licence d’histoire, le professeur qui nous accompagnait a affirmé avec certitude dans une des pièces de l’hôtel que c’est là que la Saint-Barthélémy avait été décidée. Et j’admire profondément l’optimisme à toute épreuve de Catherine de Médicis, son obstination, incomprise des catholiques comme des protestants, à essayer inlassablement de résoudre les conflits de façon pacifique et ses vains efforts pour essayer de concilier tous les partis.

De la même façon, ça m’horripile que machiavélique soit devenu dans le langage courant synonyme de diabolique, et ce sans la moindre justification. La légende noire de Machiavel est due en grande partie à un ouvrage paru en 1578, le Discours sur les moyens de bien gouverner (Anti-Machiavel) d’Innocent Gentillet. Pourtant Machiavel était un homme politique certes, mais pas un monstre. Le souvenir que j’ai gardé du Prince, que j’ai lu il y a déjà un certain nombre d’années, c’est qu’un souverain a beaucoup plus de chances de conserver son royaume s’il est aimé de ses sujets que s’il est craint, et que les talents du souverain lui sont plus utiles que la violence.

 Pour moi, le roman historique devrait être un moyen ludique de découvrir ou de se replonger dans une période et un lieu donnés. Les gens qui les lisent ne disposent pas forcément d’un bagage historique suffisant pour faire le tri dans les faits qu’on leur donne à connaître. Je ne comprends pas qu’on puisse écrire du grand n’importe quoi en courant le risque que le lecteur prenne ce qu’il lit pour argent comptant. Je ne dis pas qu’il faille toujours s’en tenir à la stricte vérité, les fantaisies historiques peuvent être amusantes et j’apprécie les uchronies, mais je pense que, si l’auteur décide de prendre des libertés, ça devrait être clairement indiqué.

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6 commentaires pour Fallait que ça sorte…

  1. Estellecalim dit :

    Ah ben ça, c’est dit ! :)
    En tout cas, je suis tout à fait d’accord avec toi. Pour Dumas, sa réflexion s’inscrit dans un contexte bien différent où l’histoire était considérée comme un moyen de légitimer le présent, je crois, et si on lit Michelet, on voit bien quelles libertés les auteurs du 19e pouvaient prendre. Mais un auteur de roman policier historique actuel n’est pas Dumas, et j’attends moi aussi un minimum de rigueur dans ce genre de livres. Comment peut-on déceler le vrai du faux si l’on n’est pas historien ? C’est franchement irrespectueux pour le lecteur !
    Et pour le guide, beaucoup d’entre eux ne sont pas formés et n’ont pas de carte officielle, avec passage de concours et cours d’histoire de l’architecture, ou sont des guides à l’ancienne, plus portés sur l’anecdote que sur l’analyse. :S

  2. Marie dit :

    Je n’arrive pas à être très objective concernant Dumas. Les trois mousquetaires étant l’un des livres qui a le plus marqué mon adolescence, je garde une grande tendresse pour lui.
    Michelet… j’ai plus de mal. Il a une très jolie plume mais j’ai du mal à le considérer comme un historien. Les choses ont bien changé depuis le 19e, c’est vrai!
    Pour les guides, c’est sûr que le fait d’avoir reçu ou pas une formation doit faire une grosse différence. Ce qui m’a frappée lors des visistes que j’ai pu faire, c’est qu’il y a ceux qui se contentent de réciter leur texte, et ceux qui sont passionnés par leur métier et qui ont visiblement pris la peine de creuser. Pour le visiteur ça change tout!

  3. Diane dit :

    Je me souviens avoir lu ce livre il y a quelques années de ça à l’occasion de sa sortie.
    Je n’avais pas détesté cette lecture même si c’est vrai qu’on est loin du « vrai » personnage de Machiavel.
    Tout comme toi je pense que les romans historiques doivent garantir une certaine part de vérité…

  4. Marie dit :

    Je crois que ma réaction a été particulièrement épidermique du fait que c’est une période que je connais bien et que j’apprécie beaucoup…

  5. belykhalil dit :

    Je viens de lire ce livre et j’attendais d’avoir rédigé ma chronique pour aller voir d’autres avis, histoire de ne pas me laisser influencer. Quel soulagement de voir que je ne suis pas la seule à avoir été horripilée par ce roman ! Si je me sentais de passer sur le contexte historique parce que c’est le premier ouvrage de l’auteur, j’ai détesté ce retournement de situation abominable qui ne tient pas debout et qui fait passer Machiavel pour un sociopathe !!

    • Marie dit :

      Je me demande ce que l’auteur a voulu faire, s’il a écrit ça pour s’amuser ou pour une autre raison?
      Je suis en tout cas contente de découvrir ton blog. Moi aussi je suis dans la série des Hauts Conteurs actuellement.

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