Les bébés de la consigne automatique

« Rien n’a changé depuis l’époque où on hurlait enfermés dans nos casiers de consigne, maintenant c’est une consigne de luxe, avec piscine, plantes vertes, animaux de compagnie, beautés nues, musique, et même musées, cinémas et hôpitaux psychiatriques, mais c’est toujours une boîte même si elle est énorme, et on finit toujours par se heurter à un mur, même en écartant les obstacles et en suivant ses propres désirs, et si on essaie de grimper ce mur pour sauter de l’autre côté, il y a des types en train de ricaner tout en haut qui nous renvoient en bas à coups de pied. »

Hashi et Kiku ont été abandonnés par leurs mères à la naissance dans une gare, dans des consignes automatiques. Ils ont pu être sauvés et confiés à un orphelinat, mais ils grandissent avec en eux la souffrance de cet abandon. Tandis que Kiku est attiré par la vitesse, Hashi se replie sur lui-même dans un monde qu’il invente. Les deux enfants sont finalement adoptés par un couple et élevés comme des frères. Dans cette nouvelle vie, ils continuent à suivre à la fois le même chemin, explorant ensemble la mine abandonnée avoisinante, et des voies différentes. Alors que Kiku se passionne pour le saut à la perche, Hashi explore les sons, cherchant celui qui pourra lui apporter le réconfort.

Je n’en dirai pas plus et je déconseille à ceux qui sont tentés par le livre de lire le quatrième de couverture. Il révèle trop d’éléments de l’histoire et je l’ai regretté au cours de ma lecture. Tant que j’en suis à ronchonner sur des détails d’édition… j’ai également relevé dans le livre plusieurs fautes dont un « pallier à » qui m’a fait grincer des dents.

Que dire du livre en lui-même? Il m’a fallu une bonne centaine de pages pour réussir à vraiment rentrer dedans. C’est dû, je crois, au fait que c’est un roman assez déstabilisant à bien des égards. L’une des raisons en est que c’est un roman d’anticipation. En effet, il a été publié en 1980 et, si les deux enfants sont nés en 1972, l’essentiel de l’action se passe en 1989 et au début de la décennie suivante. Murakami y décrit une société très proche de la société de consommation que nous connaissons en y ajoutant certains éléments issus de son imagination.

Les bébés de la consigne automatique n’est pas un livre facile à lire car il dégage une atmosphère très lourde, étouffante. La violence y est omniprésente, et certains passages sont assez durs. L’humour n’est pas absent du roman, mais il relève plutôt du registre de l’absurde, du grotesque. L’auteur y a parfois recours dans le récit d’événements tragiques. Le fait que le ridicule les prive dans une certaine mesure de leur dimension tragique les a fait paraître encore plus horribles à mes yeux.

Si l’atmosphère est lourde, le style de l’auteur est au contraire très fluide, énergique et très imagé. Paradoxalement, le roman est à la fois très coloré et très sombre. La description qu’il fait de la société moderne est très noire. Seule la dernière page vient contredire le message de désespoir véhiculé tout au long du livre. Plus que la violence ou la folie dans laquelle sombrent peu à peu les deux héros, c’est la solitude des différents personnages qui ressort pour moi du roman, surtout celle de Hashi. J’ai été frappée par l’individualisme qui émane de cette société, sans doute parce qu’il est relativement contraire à l’image que j’ai du Japon. Mais plus que de l’indifférence, dans un monde où chacun essaye de survivre à sa façon, c’est de l’incompréhension entre les humains que m’a semblé découler cette solitude.

Pour autant, je n’ai pas réussi à souscrire à tout et la critique que Murakami semble faire de la société ne m’a pas convaincue, car je trouve son discours fataliste un peu complaisant. Les propos tenus par l’un des personnages à Hashi rejoignent assez l’impression que j’ai eue :

« Vous êtes tous des enfants gâtés, vous les jeunes, […] vous croyez que le monde entier est équipé de l’air conditionné comme dans la clinique où vous êtes né [sic], vous ne savez pas ce que c’est d’avoir froid ou faim, vous êtes choyés par tout le monde, les institutions, vos parents adoptifs, surprotégés, tu as peut-être senti le froid à l’instant de ta naissance, et les autres ne connaissent même pas ça, mais après tu as été mis direct sous l’air conditionné, bien au chaud comme les autres, seulement sous prétexte que tu as connu le froid une seconde à ta naissance, tu passes ton temps à pleurnicher et à te faire plaindre, alors que tu es tranquille bien au chaud […]! »

Bon, je dois avoir un problème avec les auteurs japonais, car ce billet est aussi brouillon que celui que j’avais rédigé l’été dernier sur le roman de Natsuo Kirino. Et, en fait, l’impression que Les bébés de la consigne automatique m’a laissée, après quelques jours de digestion, est assez similaire à celle que je garde de Disparitions, et tout aussi confuse. C’est un roman qui m’a pas mal bousculée. Mais je me rends compte, après réflexion, qu’il m’a beaucoup plu.

Ce billet constitue ma première participation au challenge Murakami de Martial. Pour ma prochaine lecture pour ce challenge, je partirai à la découverte de l’autre Murakami, Haruki.

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11 commentaires pour Les bébés de la consigne automatique

  1. Martial dit :

    Bonjour!

    Très jolie commentaire!! J’ai un peu modifié le concours.. et si ça t’intéresse, j’ai prévu une lecture commune d’un livre d’Haruki Murakami…
    Bonne lecture et bonne journée

    • Marie dit :

      C’est gentil à toi d’avoir rajouté un enjeu au challenge… et c’est motivant! Je ne suis pas une lectrice très rapide et je crois que j’ai été un peu gourmande en matière de challenges (dur de résister, des fois!) mais je vais essayer de faire de mon mieux!
      Je réserve pour l’instant ma réponse concernant la lecture commune, j’attends de voir si Haruki Murakami va me plaire.
      Bonne journée à toi aussi.

  2. Tombouctou dit :

    Ah, l’Autre Murakami !! Je le préfère, sans aucune réserve. Son univers est aussi très particulier. Moins violent, plus (très) onirique. J’ai hâte de savoir si tu vas aimer. :)

  3. Martial dit :

    J’ai modifié la date du challenge: c’est maintenant le 31 décembre 2012!! ça te laisse un peu plus de temps!
    Et en effet, l’univers d’Haruki Murakami est totalment différent de celle Ryu!!

  4. Kaeru dit :

    Bonjour

    Je suis aussi une des participantes du défi et j’ai attaqué la lecture de ce livre juste quand tu as écrit ta chronique…
    Hélas, j’avais déjà lu la quatrième de couv. Et je suis tout à fait de ton avis : avoir plus de la moitié du bouquin révélée en quelques lignes retire une partie du plaisir. Je suis aussi assez dubitative sur cet ouvrage. J’ai pour principe de n’écrire que les livres que j’adore mais là… Ecrire mon billet va me demander pas mal d’énergie !

    En tout cas, si tu as apprécié l’écriture, je te conseille quand même de lire le premier roman de Murakami « Bleu presque transparent ». Plus direct, sans l’excuse de la folie, c’est un vrai chef d’oeuvre à mes yeux.

    • Marie dit :

      Je ne me définirais pas trop comme mitigée à propos de ce roman. Je crois que j’en ai parlé de façon vraiment confuse. Ce n’est pas un livre facile car l’atmosphère y est très pesante et je n’ai pas vraiment adhéré aux propos de l’auteur, mais mon impression générale, et plus avec le recul que sur le moment, est tout de même largement positive. J’irai lire ton billet avec intérêt.
      Du fait que le challenge est prolongé d’un an, je compte lire plusieurs autres de ses oeuvres d’ici là. Bleu presque transparent fait partie des romans que j’ai repérés. il risque donc fort de faire partie du lot!

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