Le gourmet solitaire

J’avais envie depuis bien longtemps de me lancer à la découverte des mangas de Jirô Taniguchi, mais n’arrivais pas à décider par lequel commencer. Après moult hésitation, j’ai opté pour Le gourmet solitaire, parce que c’est l’une des trois oeuvres présentées dans l’exposition consacrée au mangaka qui se tient à Fontevraud jusqu’à la fin de l’année. Je comptais faire un crochet par Fontevraud en allant aux Rendez-vous de l’histoire de Blois, mais la distance réelle entre les deux lieux étant plus conséquente que dans mon souvenir, j’ai dû y renoncer et n’ai pas pu trouver d’autre moment pour faire un petit voyage afin de voir l’exposition. En revanche, j’ai depuis acheté d’autres mangas de Taniguchi : L’homme qui marche et Quartier lointain!

On sait peu de choses de ce gourmet solitaire : il possède une petite entreprise d’import export dont il semble s’occuper seul. Il a beaucoup de travail et se déplace beaucoup, tant à l’étranger, pour acheter des marchandises, qu’au Japon, pour les écouler. Il semble célibataire, mais deux chapitres évoquent deux de ses ex. Et c’est à peu près tout! Il est toujours en costume. La seule fois où on le voit chez lui, on ne voit que la partie de son appartement qui lui sert de bureau. Il semble se résumer à ses occupations professionnelles. C’est uniquement à travers la nourriture qu’on peut accéder à une facette plus intime de sa personnalité et que le lecteur peut découvrir ses goûts et ses souvenirs.

Les 18 chapitres sont tous construits selon la même trame : le héros s’aperçoit qu’il a faim ou a envie de manger et part en quête d’un restaurant ou d’une boutique où il pourrait satisfaire son besoin. Là, il passe sa commande et mange. Dit comme ça, ça n’a pas l’air particulièrement exaltant, mais en fait ça se lit très bien. Je pense qu’il serait dommage de lire le manga rapidement, parce qu’il y a plein de choses à voir dedans et qu’il contient plein d’infos, mais on peut tout à fait enchaîner les chapitres l’un après l’autre sans éprouver la moindre lassitude.

 En effet, chaque histoire se déroule dans un univers particulier : quartiers de Tokyo aux atmosphères très différentes, train, parc, quartier d’Osaka, dans lesquels le personnage principal croise à chaque fois des gens très différents. Ce qui est amusant, c’est que j’ai eu le sentiment que le héros semblait étranger, déphasé partout. Et donc, chaque endroit qu’il traverse lui inspirant une envie culinaire différente, notre gourmet nous entraîne dans des établissements de toutes sortes et goûte à des plats très variés. Le manga n’est pas pour autant une sorte de guide touristique thématique, car nous partageons toutes les pensées du héros, des réflexions très banales sur la qualité de la nourriture qu’on lui présente, aux réactions émotionnelles que peuvent provoquer chez lui certains aliments, à l’image de la célèbre madeleine de Proust. Tout ceci rend le récit très vivant et par moments même touchant, lorsqu’il s’empreint d’une certaine nostalgie ou d’un peu de mélancolie. A d’autres moments, la goinfrerie du héros m’a fait sourire.

En plus d’arriver à intéresser le lecteur à un personnage qu’on ne découvre qu’au fil de ses expériences culinaires, le manga est également une réussite parce qu’on y apprend énormément de choses. On y découvre évidemment la gastronomie japonaise, et il faut dire que, de ce point de vue là, le manga est très documenté : souvent, lorsqu’on apporte son repas au héros, une planche montre chacun des plats qui constituent celui-ci, avec des commentaires sur les ingrédients et l’aspect des plats et même le prix (qui n’est cependant certainement plus trop d’actualité, le manga ayant été publié en 1997)! Mais on n’a pas seulement faim en lisant, on apprend également beaucoup sur la culture japonaise. Les décors très soignés et très précis permettent d’avoir un aperçu des différents quartiers que le héros traverse et, à travers ses remarques et ses hésitations, grâce à la façon dont il observe les gens, et grâce au secours de petites notes, on découvre certains aspects de la civilisation japonaise comme le rapport entre la nourriture et l’alcool ou l’évolution que connaissent certains quartiers de la capitale.

Le manga s’achève sur une petite nouvelle du scénariste, Masayuki Kusumi, sur la difficulté à entrer dans un restaurant qu’on ne connaît pas, amusante autant que bien pensée.

Deux nouveaux chapitres des errances du gourmet solitaire ont été publiés l’année dernière au Japon. J’espère avoir l’occasion un jour de lire un deuxième tome du manga!

Avec cette lecture, je m’attaque au défi Images du Japon de Kaeru. Je progresse!

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14 commentaires pour Le gourmet solitaire

  1. D. dit :

    C’est sûr que quand j’ai lu : « le héros s’aperçoit qu’il a faim ou a envie de manger et part en quête d’un restaurant ou d’une boutique où il pourrait satisfaire son besoin. Là, il passe sa commande et mange. » je me suis demandé où est l’intérêt de ce livre ! Mais maintenant j’ai bien envie de le découvrir !J’ai lu Quartier Lointain et, bien que je ne sois pas familière à l’univers des mangas, j’ai adoré, la poésie qui s’en dégage et les dessins. J’ai hâte de lire ton avis !

  2. Mo' dit :

    Bon challenge à toi !
    Cet album n’est pas celui que je préfère dans la bibliographie de Taniguchi. Il est trop contemplatif pour moi ^^ Tu te réserves de belles lectures avec ce mangaka et notamment avec « Quartier lointain » qui est l’un de mes préférés

  3. jerome dit :

    Contrairement à Mo’, c’est l’labum que je préfère parce que c’est le plus contemplatif. C’est une superbe balade à travers la gastronomie japonaise, en toute simplicité. Le seul manga que je relis régulièrement !

  4. Mo' dit :

    Oui, l’album rentre dans le Roaarrr Marie ;)
    De mon côté, et pour revenir sur ce que dit Jérôme, j’ai eu du mal avec ces voyages gastronomiques que je trouve un peu redondants à la longue. Et puis ce personnage solitaire m’est un peu antipathique (tout comme celui du « Promeneur solitaire de Taniguchi, pour les mêmes raisons) parce que très centré sur son propre plaisir en permanence. C’est redondant à la longue. Les petites recettes de cuisine partagées dans « Pour Sanpeï » et les intentions dont Sanpeï fait preuve lorsqu’il se met au fourneau me mettent d’avantage l’eau à la bouche (d’ailleurs, j’ai testé ces recettes chez moi :lol:)

    • Marie dit :

      C’est vrai qu’il est très centré sur son propre plaisir mais ça ne m’a pas gênée. Ca semble un peu normal dans la mesure où on le voit s’adonner à ce qui semble être son péché mignon. Il m’a plutôt amusée. Pour Sanpei est sur ma LAL!

  5. irreguliere dit :

    je l’ai déjà repéré…

  6. Kaeru dit :

    Désolée de t’avoir zappée du récap. J’ai rectifiée le tir !!! En plus, j’adore ce manga *__*. Même s’il faut le lire l’estomac plein sous peine d’aller dévaliser le frigo en cours de route. Un titre contemplatif comme je les apprécie. Et tu expliques avec justesse l’intérêt pédagogique sous-jacent.

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